Sermon du Recteur pour la Saint Vincent de Paul, patron du séminaire

Par indult spécial de Rome, nous fêtions ce lundi 27 septembre notre saint patron, saint Vincent de Paul, le jour anniversaire de sa mort. Nous retranscrivons ici le texte de l’homélie [1] prononcée par Monsieur l’abbé Gubitoso, recteur du séminaire :

« Chers confrères, bien chers séminaristes,

« O Dieu, qui pour le salut des pauvres et l’éducation du clergé, avez réuni par les soins du bienheureux Vincent, dans votre Eglise une famille nouvelle, faites, nous vous en supplions, qu’enflammés du même esprit, nous aimions ce qu’il a aimé, et mettions en pratique ce qu’il a enseigné ».

Voilà les deux œuvres par lesquelles la collecte de cette messe résume la vie de saint Vincent de Paul : l’évangélisation des pauvres et le redressement spirituel et disciplinaire du clergé de son époque.

En France, le XVIIe siècle est un siècle de conversion et de renaissance spirituelle. Jusqu’à ce moment, notamment à cause des Guerres des Religion, le Concile de Trente et la Contre-Réforme n’avaient pas encore pu porter des fruits durables.

A ce moment-là donc, c’est une véritable armée de saints que Dieu suscitera pour opérer la conversion du clergé : saint Vincent de Paul, saint François de Sales, saint Jean Eudes, Jean-Jacques Olier, le cardinal de Bérulle…

La rééducation du clergé de cette époque n’était, d’ailleurs, pas une mince affaire. D’un côté, les prêtres du « haut clergé », du clergé de cour, étaient pour la plupart inféodés aux nobles et étaient traités comme une sorte de valet de la cour, au point que, après avoir béni la table des Seigneurs, ils étaient priés d’aller manger avec les domestiques. Le « bas clergé », quant à lui, était certes beaucoup plus proche du peuple mais tellement proche que, au lieu de sanctifier celui-ci, il en avait plutôt adopté les vices et les travers.

De plus, une ignorance crasse asservissait l’ensemble du clergé :

  • Un des premiers enseignements de saint François de Sales comme évêque fut tout simplement de rappeler la formule de l’absolution. Dans certains villages, il y avait des prêtres qui donnaient l’absolution avec un Je vous salue Marie, croyant qu’avec le signe de la croix toutes les paroles avaient la vertu d’absoudre.
  • A la même date que Vincent de Paul inaugurait les exercices spirituels d’ordination à Beauvais, l’évêque de Comminges, Donnadieu de Griet, se contentait d’exiger de ses ordinands de son diocèse qu’ils prennent soin de se réserver l’après-midi de la veille de l’ordinations pour s’y préparer sans presse par une confession général, vers trois heures il leur faisait adresser par une personne de savoir et de piété une exhortation sur le sujet des ordres ; et le soir, il envoyait ses principaux officiers qui parcouraient les maisons où logeaient les ordinands, et si l’on en trouvait quelques-uns dans le jeu et dans la débauche, comme il arrivait trop souvent, ils étaient renvoyés pour cette fois.
  • Le témoignage le plus accablant reste tout de même celui de l’archevêque de Bourges en 1643, je cite : « Les prêtres sont dans une ignorance effroyable. De quarante confesseurs, il n’y en a pas six qui savent quand le mensonge est véniel ou mortel. Il y en a qui n’entendent pas un mot de latin et d’autres qui ne savent pas lire ». Il poursuit encore : « On a trouvé des prêtres qui ne savaient pas les principaux mystères de la religion. Il y en a qui ne peuvent dire ce qu’ils font quand ils disent la messe, qui, par conséquent n’ont aucun respect pour ce saint mystère et qui mettent dans le tabernacle des bouts de cierge, de la bougie, de l’argent et des papiers avec les saintes hosties ».

C’est dans ce contexte que saint Vincent de Paul va fonder la Congrégation de la Mission, les « lazaristes » (car ils demeuraient dans le quartier Saint-Lazare à Paris) et c’est dans ce contexte qu’il va les former au sacerdoce.

Cependant, la différence de saint Vincent de Paul par rapport à ceux que j’ai nommés plus haut consiste en ce qu’il ne nous a pas laissé d’ouvrage spécifique sur le prêtre, sur le sacerdoce. Si nous devons donc « aimer ce qu’il aimé », comme nous enjoint la collecte, et « mettre en pratique ce qu’il a enseigné », il nous faut donc rassembler, dans ses divers écrits, sa pensée au sujet du sacerdoce.

Sa doctrine sur le sacerdoce n’est en rien originale ou innovatrice, elle est ancrée dans tout ce qu’il y a de plus traditionnel. Mais ce qui fait le charme et la beauté de son enseignement c’est son aspect évangélique et concret. Il parle de ce qu’il vit, cela n’a rien de théorique.

Si l’on devait résumer, pour saint Vincent de Paul, le prêtre est un homme appelé de Dieu à participer au sacerdoce de Jésus-Christ pour prolonger la mission rédemptrice de Jésus-Christ, en faisant ce qu’a fait Jésus-Christ de la manière dont il l’a fait.

Le sacerdoce est donc essentiellement une conformité à Jésus.

Pour lui, être prêtre c’est « exercer l’office de Jésus-Christ sur la terre ». Pour lui : « Dieu envoie les prêtres comme il a envoyé son Fils éternel, pour le salut des âmes ». Il dit encore que les prêtres doivent : « se réjouir d’être en leur vocation pour la même fin qui a engagé Dieu à se faire homme » en faisant écho à l’évangile : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie ».

Par conséquent, puisque celui qui, ultimement, touche âmes c’est Jésus-Christ lui-même (et non pas nos discours ou notre philosophie), la mission du prêtre ne peut se concevoir que dans une dépendance étroite de « Notre-Seigneur Jésus Christ qui est le seul véritable rédempteur ».

L’office du prêtre, disait-il, « est si relevé que c’est par excellence l’office du Fils de Dieu ». Être prêtre, ce n’est pas tant accomplir après lui le ministère dont il nous a donné l’exemple que « se donner à lui pour qu’il continue de l’exercer en nous et par nous ».

Bref, le prêtre est l’instrument du sacerdoce éternel de Jésus-Christ.

Un tel rôle suppose un lien ontologique, profond, intime, unique entre Jésus et le prêtre. Ce lien est créé par le sacrement de l’Ordre. Ce serait comme une greffe sur un sauvageon qui permet à cet arbre qui a poussé spontanément de porter de fruits de même nature que la plante greffée. Cette greffe donne aux prêtres la puissance d’accomplir les gestes de prêtre de Jésus. Il disait : « C’est un caractère tout divin et incomparable, une puissance sur le corps de Jésus-Christ – sur son corps naturel et sur le mystique – et un pouvoir de remettre les péchés des hommes ».

Cette participation sublime au sacerdoce du Christ comporte bien entendu des exigences pratiques et c’est pour cela que saint Vincent de Paul répétera souvent : « Il faut vous vider de vous-même pour vous revêtir de Jésus-Christ ».

Cet effort de renoncement du prêtre doit s’exercer principalement dans deux domaines : sa volonté et son intelligence. « Celui qui ne renonce pas à soi-même n’est pas digne de lui et d’être son disciple ».

Premièrement il faut donc renoncer à sa volonté propre pour se laisser conduire par Jésus-Christ.

Si le prêtre est un instrument et que ce n’est pas à l’instrument de choisir l’œuvre à laquelle il doit être appliqué, saint Vincent de Paul insistera beaucoup sur l’obéissance. Pendant notre discernement au séminaire, c’est souvent surtout la question du célibat qui nous travaille mais il ne faut pas oublier que le jour de l’ordination nous promettons aussi obéissance à notre ordinaire ce qui est tout aussi, voire plus, exigeant que le célibat lui-même. Dans ce sens, il disait à l’un de ses prêtres : « Continuez, Monsieur, de vous unir à Dieu et à votre supérieur, de vous abandonner à Notre-Seigneur pour vivre dans une grande dépendance de ses ordres et à la conduite de ceux qui vous le représentent. C’est le moyen de conserver et d’augmenter la paix dont vous jouissez et de vous rendre de plus en plus un instrument propre pour la main toute-puissante de Dieu, qui, en ce cas, accomplira les dessins qu’il a sur vous pour sa gloire et le salut des âmes ».

Il rappelait avec véhémence à Luc Plunket qui, au lendemain de son ordination, se plaignait de se voir affecté à un séminaire : « Est-il possible, Monsieur, que maintenant que vous êtes prêtre, plus obligé que jamais de vous rendre utile à l’Eglise, vous refusiez les fonctions de contribuer à former de bons prêtres ? Que direz-vous à cela ? Que si vous travaillez aux lieux et en la manière qui reviennent le plus à votre esprit, vous ferez plus de fruit que vous n’en faites. Mais c’est ce que vous ne pouvez vous promettre ; au contraire, vous devez craindre que, si vous secouez le joug de la sainte obéissance, Dieu retire de vous son esprit et vous abandonne à votre propre sens ».

Cette nécessité d’obéissance est très facile à comprendre mais aussi très difficile de mettre en pratique. « Ne rien refuser, mais aussi ne rien demander » : voilà le degré de renoncement qu’il exigeait de ses missionnaires. Et surtout, disait-il, « se garder de s’attirer la fonction de supérieur ».

Il ne s’agit pas de dire que nous sommes tous des pions interchangeables. Non… saint Vincent de Paul a rappelé une fois à un curé qui voulait quitter sa paroisse qu’il n’était pas indifférent que ce soit tel ou tel qui en assume la charge, mais qu’il faut que ce soit celui que Dieu y veut : « Celui à qui vous baillerez votre cure est-il homme de bien ? Pourrait-il faire à votre cure le bien que vous y faites ?… Quoi que ce soit, je vous prie de ne pas vous hâter, c’est une affaire de grande considération ; et je vous dirai que j’aurais peine que vous prissiez résolution sans avoir fait prier Dieu et consulté M. Duval ou M. Coqueret ou tous les deux ; car il s’agit de savoir si Dieu veut que vous quittiez l’épouse que vous avez prise, ou, pour mieux dire, qu’il vous a donnée lui-même ».

Deuxième, en plus de renoncer à sa volonté propre, pour être un bon prêtre il faut renoncer à son propre esprit pour entrer dans l’esprit de Jésus-Christ.

La tentation qui s’offre souvent au prêtre, même après avoir accepté loyalement l’œuvre qui lui est confiée par la Providence, c’est de transformer cette œuvre qui doit être l’œuvre de Dieu en son œuvre propre. Ce sera certes une œuvre pour Dieu mais non pas une œuvre de Dieu. Au lieu d’une œuvre divine, c’est une pauvre œuvre humaine qu’il édifiera. C’est ce que Monsieur Vincent disait à un supérieur de séminaire : « Il faut, Monsieur, vous vider de vous-même pour vous revêtir de Jésus-Christ. Vous saurez que les causes ordinaires produisent des effets de leur nature : un mouton fait un mouton, un homme un autre homme, etc… ; de même, si celui qui conduit les autres, qui les forme, qui leur parle, n’est animé que de l’esprit humain, ceux qui le verront, qui l’écouteront, et qui s’étudieront à l’imiter, deviendront tout humains ; il ne leur inspirera, quoiqu’il dise et qu’il fasse, que l’apparence de la vertu et non pas le fond ; il leur communiquera l’esprit dont lui-même sera animé comme nous voyons que les maîtres impriment leurs maximes et leurs façons de faire dans l’esprit de leur disciples ».

Pour entrer dans cet esprit de Jésus-Christ, le moyen que saint Vincent indique est celui de la prière et de l’oraison mentale. Il demandait à ses missionnaires de consacrer une heure quotidienne à l’oraison. Il ne s’agit pas ici seulement d’une question de minutage à accomplir. L’oraison doit être l’état d’âme du prêtre dans l’accomplissement de son ministère : en tout ce qu’il fait, celui-ci doit se référer constamment à Jésus dont il est instrument. C’est pour cela qu’il disait : « De plus, quand il sera question de faire quelque bonne œuvre, dites au Fils de Dieu : « Seigneur, si vous étiez en ma place, comment feriez-vous en cette occasion ? Comment instruiriez-vous ce peuple ? Comment consoleriez-vous ce malade d’esprit et de corps ? »

Enfin, cette vie de prière nous fera nous conformer à Jésus dans l’accomplissement du ministère

On peut ramener à trois les vertus apostoliques sur lesquelles saint Vincent de Paul insiste comme étant caractéristiques de la manière d’accomplir le ministère à l’imitation de Jésus : le zèle, l’humilité et la douceur.

Il nous est agréable de constater combien de points de contact existent entre sa doctrine sur le sacerdoce et la spiritualité sacerdotale qui est contenue dans nos Statuts. Nous pouvons remercier nos fondateurs pour ce choix très judicieux concernant le saint patron de notre Séminaire.

Premièrement, il rappellera souvent que le prêtre doit être zélé. « Quos non pavisti, occidisti, Vous avez tué ceux que vous n’avez pas assistés » disait-il à ses missionnaires, se référant non seulement à la réfection corporelle mais aussi et surtout à la réfection spirituelle par la prédication de l’évangile. Un jeune prêtre doit quitter le séminaire avec la volonté de « mettre un feu sur la terre » à l’exemple de Notre-Seigneur. Ce zèle de Jésus est manifeste dans l’évangile de saint Matthieu choisi pour cette messe : « Voyant les foules, Jésus fut saisi de compassion envers elles parce qu’elles étaient désemparées et abattues comme des brebis sans berger ». Toutefois, le zèle ne suffit pas, il faut être zélé à la manière de Notre-Seigneur qui nous a dit : « Apprenez-de moi que je suis doux et humble de cœur ! »

Il recommandait donc à ses disciples, deuxièmement, en long, en large et en travers, la vertu de l’humilité. C’est là une pièce maîtresse de sa spiritualité. Si le prêtre doit reproduire les vertus de Jésus, il doit, comme Lui, vivre et agir dans l’humilité : « Si nous considérions bien ce tableau que nous avons devant les yeux, cet admirable original d’humilité, Notre-Seigneur Jésus-Christ, se pourrait-il faire que nous donnassions entrée en nos esprits à aucune bonne opinion de nous-mêmes, nous voyant si fort éloignés de ses prodigieux abaissements ? ». Cette humilité devait se ressentir par exemple dans la prédication : « Il faut y aller dans la simplicité, avec un discours familier, de sorte que chacun puisse entendre et faire son profit ; voilà comment prêchait Jésus-Christ ». « La simplicité, donc, mes frères ! Prêchons Jésus-Christ et les âmes ; disons ce que nous avons à dire simplement, bonnement, humblement, mais fortement et charitablement, ne cherchons point à nous satisfaire, mais à satisfaire Dieu, à gagner les âmes et à les porter à la pénitence, car tout le reste n’est que vanité et orgueil ; oui, en user autrement n’est que superbe, pure superbe, et dont Dieu saura bien, voyez-vous, un jour châtier ceux qui s’y sont laissés emporter ».

Enfin, afin de poursuivre la mission rédemptrice de Jésus-Christ à la manière du même Jésus-Christ, à ce zèle et à cette humilité le prêtre doit joindre la douceur : « Un vrai missionnaire fera bien… de se comporter en sorte qu’il donne consolation et confiance à tous ceux qui l’approchent. Vous voyez par expérience que cette insinuation d’abord gagne les cœurs et les attire ; et, au contraire, on a fait cette remarque de personnes de condition qui sont en emploi, que, quand elles sont trop graves et froides, un chacun les craint et les fuit. Et comme nous devons être employés à l’entour des pauvres gens des champs, de messieurs les ordinands, des exercitants et de toutes sortes de personnes, il n’est pas possible que nous produisions de bons fruits si nous sommes comme des terres sèches qui ne portent que des chardons ; il faut quelque attrait et un visage qui plaise pour n’effaroucher personne… Il s’agit de s’insinuer dans les âmes pour les gagner ; cela ne peut se faire que par cet extérieur affable et gracieux ». Cette douceur doit bien sûr se concilier avec la fermeté, comme il rappelle à un supérieur de séminaire : « Il faut être ferme et non pas rude dans la conduite, et éviter une douceur fade qui ne sert à rien. Nous apprendrons de Notre-Seigneur comme la nôtre doit être toujours accompagnée d’humilité et de grâce pour lui attirer les cœurs et n’en dégoûter aucun ». Saint Vincent de Paul résumait sa doctrine sur la douceur par la phrase suivante : « Il faut être ferme et invariable pour la fin, doux et humble pour les moyens ».

« O Dieu, qui pour le salut des pauvres et l’éducation du clergé, avez réuni par les soins du bienheureux Vincent, dans votre Eglise une famille nouvelle, faites, nous vous en supplions, qu’enflammés du même esprit, nous aimions ce qu’il a aimé, et mettions en pratique ce qu’il a enseigné ». »

[1] Sermon largement inspiré de l’ouvrage « L’idéal missionnaire du prêtre d’après saint Vincent de Paul » de Mgr Jacques Delarue.

Partager